Pardon pour ce si long silence et mon manque d’ardeur à répondre à vos messages. J’ai pourtant bien des choses à vous raconter depuis ma dernière lettre envoyée le 23 janvier. Tout d’abord, je suis en arrêt de travail depuis fin janvier. J’étais arrivé à un point de saturation intellectuelle et d’épuisement et je me ressource grâce en particulier à la présence de Paz et de Bruno en me dédiant à des tâches manuelles comme notamment la décoration de la chambre de Paloma : j’ai remonté tous ses Lego et nous les avons installés sur des étagères vitrées, collé ses posters de Zelda, de Soprano, installé ses peluches, redisposé les nombreux objets sacrés qui forment son petit oratoire, cumulés tout au long de sa maladie…
Nous avions prévu de faire un voyage à New-York et à Miami pendant les vacances de février, c’était le plus grand souhait de Bruno. Paz et moi appréhendions de partir si loin, et de quitter si tôt notre « zone de confort », mais ce voyage nous a fait beaucoup de bien et nous a permis de nous changer les idées, de nous ressourcer et de nous oxygéner. Quoi de plus dépaysant que ces deux grandes villes américaines pour moi qui vis dans un petit village du sud de la Gironde ? J’ai en particulier pu constater ce que je pense de plus en plus : que ce qui donne du sens à nos vies, tient dans la richesse des rencontres que nous faisons et que, quand nous nous ouvrons à l’inconnu, de magnifiques moments nous attendent. Nous avons rencontré à Miami des personnes exceptionnelles le temps d’un verre, d’un repas, d’une soirée…, découvert de nouveaux modes de vies et profité de chaque instant. Carolina et Greg, merci de tout cœur pour nous avoir servi de guides là-bas alors que nous n’étions pas forcément les meilleurs compagnons de voyage possible en ce moment, mais nous nous rattraperons !
Nous sommes rentrés début mars et deux dates difficiles nous attendaient : mon anniversaire, le 10, et la date du diagnostic fait à Paloma le 12. Je ne me sentais pas l’envie de fêter mon anniversaire, ni même d’y penser : je n’avais rien à « fêter », cette date ne faisait que me rappeler que cette année, le gâteau serait plus petit et qu’il manquerait une personne essentielle à ma table, une petite fille qui, il y a encore un an, se réjouissait de cette fête et des cadeaux qu’elle avait choisis pour moi avec sa mère. Si ce n’avait été pour Bruno, j’aurais préféré oublier cette journée en restant au lit, d’autant que j’avais passé la nuit précédente sans pouvoir dormir, à penser : je ne veux pas que demain vienne. Mais Paz, pour être déjà passée par cette date le 28 décembre dernier, le savait, et m’a apporté tout son soutien… Ce soir-là, ni bougies, ni gâteau, ni cadeaux mais un dîner différent, à trois… Je n’ai répondu à aucun message, pas pris le téléphone, n’ayant pas envie d’entendre ou de lire qu’on me souhaitait un joyeux anniversaire alors que je n’étais pas joyeux. Et je n’ai pas regardé mon compte Facebook. Ce n’ai qu’aujourd’hui que j’y suis retourné pour y découvrir plus de cent messages d’amitié. Merci, merci à tous d’avoir pensé à moi particulièrement ce jour-là et pour vos témoignages d’affection, je me demande ce que font les autres parents le jour de leur anniversaire, quand un de leurs enfants manque à l’appel, j’ai un an pour me renseigner…
Le 12 mars, nos amis Pierre et Carole avaient organisé en secret avec Paz de m’emmener passer le week-end à Palma de Mallorca. Notre retour le dimanche 15 fut un peu épique puisque les avions commençaient à se raréfier, mais le confinement a eu sur nous l’étrange sensation de ne plus nous sentir si différents du reste du monde, enfermés à la maison sans travailler. Pourtant, lire et écrire continuent à être pour moi des exercices quasi insurmontables. Voilà où j’en suis, où nous en sommes, à ne pas faire de plans à plus de deux semaines, comme la plupart d’entre vous…
2e partie
N’arrivant pas à dompter ma pensée pour me concentrer, je n’arrive pas à prier, elle fait des sauts de cabri et je ne trouve pas l’énergie pour écrire à mes amis et donner ni prendre de leurs nouvelles. Si je pouvais aller m’asseoir sur le banc d’une église pour y respirer le calme et m’en imprégner, mais le confinement nous prive de ce répit.
Nous ne savons pas de quoi demain sera fait, nous pouvons pester et maudire, rien n’y fait, nous plaindre, accuser qui nous voulons, chercher à punir d’éventuels coupables selon que nous nous sentons plus l’âme d’un Calimero (“C’est pas juste !”), d’un Zola (“J’accuse…!”), ou d’un justicier masqué cherchant à tout prix des responsables pour les punir, mais nous pouvons aussi essayer de faire de notre mieux dans les circonstances qui sont ce qu’elles sont…
Je ne prie pas, mais je m’associe à tous ceux qui pâtissent des effets du coronavirus, parce qu’ils ont perdu un proche ou souffrent des conséquences économiques.
Je ne prie pas, mais je pense aux nombreux enfants qui continuent à mourir chaque jour de cancer dans des proportions bien supérieures au coronavirus sans pour autant émouvoir les médias, je pense aux familles dont les enfants malades ne peuvent recevoir les visites de leurs proches et voyager pour accéder à des soins hors de leurs frontières. J’essaie de ne pas en vouloir aux parents qui se plaignent de devoir passer tellement de temps avec leurs enfants, quand tant d’autres aimeraient avoir leur chance… Puissions-nous devenir meilleurs et plus solidaires grâce à ce virus et ressortir grandis de cette pandémie, apprécier une accolade, le plaisir simple d’un café en terrasse…
Je ne prie pas, mais mon cœur accompagne le deuil des parents d’Hermine, cette jeune fille atteinte d’un glioblastome que Paloma était allée rencontrer au couvent de l’Assomption de Lourdes en octobre 2018, pour la rassurer en lui expliquant que la radiothérapie n’était pas douloureuse.
Je ne prie pas, mais je demande à Paloma de l’accueillir et de la rassurer de nouveau dans sa nouvelle demeure qu’elle a rejointe le 24 mars et où Paloma l’a encore précédée.
Je ne prie pas, mais je pense aussi à la petite Sarah, emportée par le même GITC que Paloma le 1er avril dernier, rencontrée au CHU de Bordeaux alors que ses parents attendaient encore la confirmation du diagnostic tandis que notre fille vivait ses derniers jours… et tant d’autres… je ne prie pas, mais je demande à Dieu de prendre soin de tous ceux qui souffrent.
Ce lundi marque l’entrée dans la Semaine sainte pour tous les Chrétiens, comment mieux vivre ce temps de carême que dans l’abnégation et la confiance en Dieu que des jours meilleurs se lèveront bientôt ?
C’est tout ce dont je suis capable en ce moment : penser à ceux qui souffrent et manquent de ressources pour tenir ; n’arrivant pas à prier, je demande à Dieu, à la Vierge Marie, à tous les saints, à Paloma, de veiller sur eux et de leur insuffler l’espérance, en somme, de les “rassurer devant les épreuves”… parce que, si la foi ne diminue pas la souffrance, je crois qu’elle permet de garder l’espérance et une certaine paix en sachant que la mort n’est qu’un passage.
1 commentaire
Bahija Boultam avril 23, 2020 - 2:46
Douce pensées pour Paloma et votre famille.. Villenavais, nous avons eu l’occasion de vous croiser à l’école Jules Michelet, de participer aux différentes manifestations en soutien à votre petit ange, de vous apercevoir en balade… Je continue à vous lire afin d’avoir un peu de vos nouvelles mais aussi pour ne pas oublier Paloma et son immense courage..