Ceci n’est pas un acte de foi : je crois en Dieu, c’est un fait, un constat. Un Dieu Tout-Puissant et un Dieu d’Amour. À partir de là, tout est plus facile. Je crois qu’il faut bien plus de courage à un athée pour supporter la souffrance et j’admire sincèrement quiconque étant pris dans la tourmente ne croirait pas en Dieu. Je crois en quelque chose qui me dépasse, en une logique supérieure à laquelle il faut se soumettre. La souffrance ne s’explique pas, je veux bien jouer le jeu car j’estime qu’elle fait partie de la vie. Pourtant, voir une petite fille innocente, dévorée chaque jour un peu plus par une maladie qui la prive peu à peu de toutes ses capacités, (d’abord moteur avec tout un côté paralysé, une surdité croissante, de plus en plus de difficultés à s’exprimer intelligiblement alors qu’elle était si vive, puis qui s’attaque à ses facultés intellectuelles avec de soudaines pertes de conscience ou un état de conscience modifié durant lequel elle est “ailleurs”, tenant un discours dépourvu de sens – comme c’est le cas depuis dimanche dernier – et sa mère, dévastée par cet insoutenable spectacle, et alors que je suis impuissant à enrayer ce mécanisme mortifère,) dépasse quelque peu ma logique.
Je n’ose imaginer les ravages pour son frère de treize ans, en pleine construction de son identité, lui-même spectateur atterré des changements fulgurants qu’a subis Paloma ces dernières semaines.
L’évolution de ce GITC reste au demeurant imprévisible.
Après une hospitalisation en urgence lundi et une observation minutieuse de son état par ses médecins, Paloma est finalement rentrée à la maison jeudi.
Si le cauchemar appartient au domaine du rêve, dans la vie, quel est le mot pour parler d’un cauchemar dont on ne se réveille pas ?
Et pourtant, les signes sont toujours là, comme la flamme ténue d’une bougie : la chambre de Paloma à l’hôpital avec vue sur la cathédrale de Bordeaux, l’espace de prière vide pour que je puisse m’y recueillir tranquillement, et bien sûr, et surtout, difficile à croire en un hasard du calendrier, la Semaine sainte et Pâques qui arrivent à grands pas.
Paloma a d’ailleurs passé un agréable moment avec les blouses roses, (vous savez, ces bénévoles qui viennent passer du temps avec les enfants malades,) elle est repartie avec un panier pour y ranger ses œufs en chocolat. Autre moment privilégié mercredi matin, grâce à Alice, aide-soignante aux petits soins avec Paloma, pour lui donner un bain dans une espèce de lit-baignoire, où Paz et moi avons pu la laver et la détendre avec beaucoup de confort.
Nous avons essayé tous les traitements possibles dont nous avions connaissance en France comme à l’étranger, obtenu des médicaments non disponibles en France (soit à l’essai, soit non encore légalisés), l’hypnose, la visualisation, les soins énergétiques, le reiki, la médecine chinoise… Je crois pouvoir assurer sans trop me tromper que des prières sont dites et des bougies allumées pour Paloma chaque jour un peu partout dans le monde.
Étonnamment, alors que Paloma n’arrive presque plus à utiliser sa main gauche encore à peu près valide, elle montre une acceptation de sa situation avec une résignation admirable. Je lui ai acheté des tampons et elle a écrit, non sans mal, “Bruno est un super frère”.
Paloma oscille entre l’envie de guérir et celle de mourir : tantôt elle demande à Paz d’arrêter de chercher des traitements, tantôt elle se dédit de ses propres paroles ; tantôt elle dit qu’elle voudrait que sa mère se suicide pour la précéder dans la mort et l’attendre, tantôt elle se projette dans les mois à venir et appréhende sa rentrée au collège en septembre…
Puisque je ne crois ni en une fatalité ni que Dieu soit responsable de ce qui arrive à Paloma, cette même logique me pousse de plus en plus à réaliser que je suis coupable : coupable de ne pas trouver comment l’aider à guérir, coupable d’avoir fait un doctorat sur la gastronomie dans les contes de fées plutôt que sur les accidents cellulaires qui produisent des cancers, coupable d’avoir engendré une enfant qui allait développer cette maladie et faire tellement souffrir tant de personnes, à commencer par les plus proches : sa mère, son frère, ses grands-parents, oncles et tantes, cousins, amis… Et, curieusement, cela me rassure plutôt que d’en vouloir à la terre entière ou à qui que ce soit.
Samedi matin, Paloma m’a redit comme elle avait peur de la mort, je lui ai donc proposé de dessiner le paradis.
Comme elle n’en est plus capable et que je dessine très mal, le résultat n’est peut-être pas tout à fait conforme à la réalité mais nous sommes convenus que, par définition, au paradis, il ne devait manquer de rien et surtout pas de ce qu’on aime : elle m’a donc fait dessiner tout d’abord des nuages, puis un ange, les deux personnes qu’elle a connues et qui sont mortes : Mamina, ma grand-mère maternelle, et Mathieu, le mari de ma cousine germaine, Pati (son canard en peluche), un banquet rempli de ses mets favoris, des Lego, des jeux de cartes et tout un tas de Minions… Je ne vois pas ce qu’il pourrait y avoir d’autre, j’ai bien proposé un barbecue mais sans la convaincre… Je l
ui ai surtout dit que le premier d’entre nous quatre qui mourrait préparerait la place pour les autres jusqu’à ce que nous soyons tous réunis mais que d’ici là, nous pourrions communiquer à travers la prière et resterions toujours unis par l’amour qui survit à la mort…
A fide sanatio
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