“Au Paradis, je serai seule.” C’est la raison pour laquelle Paloma demande que quelqu’un l’accompagne et meure avec elle, le plus souvent sa mère ou moi et dernièrement… son frère. Aussi horrible et égoïste que puisse paraître cette idée, j’y vois avant tout une déclaration d’amour.
Je lui explique que son corps est comme un sous-marin, indispensable sous l’eau mais uniquement utile sous l’eau, que quand on meurt, notre âme rejoint Dieu au Paradis avec les autres âmes amies dans l’Amour, sans souffrance, que seul son corps malade meurt et qu’elle sera encore avec nous mais différemment.
Je lui avoue que je n’ai pas envie qu’elle meure mais que si c’est ce qu’il y a de meilleur pour elle, je l’accepte : “je demande à Dieu de te guérir pour faire ta croisière, mais si tu meurs, tu nous enverras de l’Amour”.
Avec l’ombre de la mort qui plane au-dessus de notre fille depuis l’annonce de son GITC, notre échelle des valeurs, nos priorités, notre rapport au temps à Paz et à moi ont considérablement évolué. Moi qui tenais tant à la vie et avais tant de rêves et d’envies, comme il me serait facile de mourir si cela pouvait sauver Paloma ! Ce ne serait ni difficile, ni douloureux, c’est une telle évidence, ce serait tellement naturel, ce serait un tel soulagement, et je sais que Paz voudrait tellement se substituer à Paloma si elle le pouvait. Moi qui avais toujours cru qu’il fallait beaucoup d’héroïsme pour vouloir mourir pour quelqu’un, je découvre qu’il suffit d’un peu d’amour…
J’ai essayé d’expliquer à Paloma, étonnée de voir sa mère pleurer et moi non, que : “Maman est triste parce que tu es malade et moi, je suis heureux parce que tu es en vie. C’est juste une manière différente d’exprimer notre amour.” Et pourtant, tout en priant pour le miracle de sa guérison, j’accepte la possibilité qu’elle meure, persuadé que le dessein de Dieu me dépasse. Je suis peut-être naïf, puéril, je donne sans doute l’impression de vivre dans un conte de fées, déconnecté de la réalité, pourtant je continue résolument à croire que parce que le miracle est possible, que je le demande et que j’y crois, il a toutes les possibilités de se réaliser. J’espère seulement ne pas prolonger inutilement les souffrances de Paloma en la maintenant dans cette espérance mais que ma foi la sauvera.
Je vis cette situation en stoïcien hédoniste : stoïcien parce que c’est la seule façon de supporter ce que nous vivons au sein de notre foyer et que se révolter ou s’y opposer ne mènerait à rien, et hédoniste parce que je profite du moindre moment de joie qui nous est offert comme lorsque Paloma se frotte le ventre de contentement parce qu’elle aime ce que nous lui donnons à manger ou qu’elle se réjouit en découvrant reliées dans un album toutes les bandes-dessinées qu’elle avait écrites sur Pati cet automne et que Paz a pris le temps de faire imprimer. Quoi que fortement diminuée, elle est encore tout à fait elle-même et parvient très bien à exprimer ce qu’elle ressent. Dimanche dernier, elle s’est grandement réjouie de la naissance de sa petite cousine Emma Soliveres, fille de Cléclé et Olivier, à l’initiative de la soirée au théâtre des Mathurins du 18 novembre dernier et a souhaité lui envoyer un message qu’elle m’a fait écrire sur son ardoise.
Depuis plusieurs semaines, Paloma se réveille tous les matins vers cinq heures et demie et demande qu’on ouvre la porte de sa chambre et qu’on allume la lumière du couloir parce qu’elle veut absolument voir Bruno lui dire au revoir avant de partir pour l’école.
Il ne se passe pas une journée sans qu’elle nous dise : “Je vais mourir.” J’y perçois une interrogation en creux, comme si elle voulait notre avis sur la question. Nous tâchons d’être sincères sans l’effrayer davantage, ce qui laisse une marge plus qu’étroite. Comme je ne trouve aucun argument pour m’empêcher d’être convaincu qu’un miracle va sauver ma fille mais que cette décision n’appartient qu’à Dieu, je lui réponds : “Dieu veut le meilleur pour toi. Je crois que c’est guérir. Si c’est mourir, n’aies pas peur, tu comprendras au Paradis.”
Paz lui a expliqué qu’elle pourrait nous voir par la fenêtre du Paradis et qu’au début, elle y viendrait sans doute souvent, puis qu’elle en ressentirait de moins en moins le besoin.
Autre question singulière qu’a formulée Paloma, sans que nous arrivions à savoir pourquoi :
“Au Paradis, il y a des douches ?”
Dans cette maladie si terrible, nous vivons des moments magnifiques : des élans de prière aux multiples gestes de générosité spontanée pour alléger notre quotidien alors que nous ne quittons plus du tout Paloma, et bien sûr tous ceux d’entre vous qui se relaient chaque jour pour nous apporter des repas aussi bons que variés, c’est d’un immense secours et cela nous permet de revoir des amis, des collègues et même de rencontrer des personnes que nous ne pourrions pas voir autrement. https://www.mealtrain.com/trains/58yynr
Je sais aussi que certains souhaiteraient nous rendre visite mais n’osent pas. N’hésitez pas, tant que ces visites sont courtes, programmées et idéalement d’une ou deux personnes à la fois. Paloma a été très contente de la visite de deux amis de classe Léa et Max, venus lui tenir compagnie l’un après l’autre un petit moment durant le week-end et quelques jours plus tôt, de Luciano. Mais nous savons aussi que cela peut être éprouvant pour des enfants ou leurs parents et préférons vous laisser en décider.
À en croire les échos que je reçois, le témoignage que je donne de la manière dont Paloma vit sa maladie vous aide à relativiser vos propres soucis, à mieux comprendre ce par quoi passe une famille, elle est à l’initiative de gestes de solidarité extraordinaires comme celui de cet inconnu venant d’acheter une bougie lors des cent-quarante ans de la synagogue de Neuilly-sur-Seine et l’offrant à ma cousine Cataline pour Paloma !
Je sais que des infirmières mais aussi d’autres familles touchées par cette tumeur cérébrale y puisent des informations et j’espère qu’elles les aident, il semble que nous soyons nombreux à grandir grâce à Paloma, mais à quel prix !…
Se peut-il que Paloma ait murmuré à l’oreille de Dieu cette singulière idée de venir se sacrifier pour nous rendre meilleurs ?
A fide sanatio
Nous allons amener Paloma au CHU de Bordeaux pour une hospitalisation de trois jours lundi 3 juin afin de faire un point sur son état de santé.
Jeudi 6 juin, date anniversaire du martyr de sœur Maria Laura, les Filles de la Croix recommanderont Paloma dans leur prières et demanderont son intercession pour la guérison de Paloma.
Mercredi 12 juin, à 15h30, la messe trimestrielle qui réunit groupe de catéchèse des adolescents autistes, dont fait partie Manon, la cousine de Paloma, sera célébrée par le père Christian Lancrey-Javal, curé de Notre Dame de Compassion, à l’intention de Paloma. Vous êtes tous cordialement invités à y participer (place du Général-Koenig, 75017 Paris).
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